Cirkla

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pour la réutilisation
dans la construction

Manifeste

Le secteur de la construction suisse génère environ 74 millions de tonnes de dé-
chets par an, dont environ 17 millions de tonnes (soit 19%) de matériaux de dé-
construction.[1] Sur les déchets de construction produits chaque année, environ
75% sont recyclées, 20% mises en décharge, 4% incinérées et une fraction seule-
ment réemployée. [2]
 
Pour construire de manière durable et respectueuse du climat, il nous faut miser
sur l’économie circulaire et considérer la construction comme un cycle. Les projets
de démolition jouent un rôle clé à cet égard, car nombre de ces bâtiments sont de
véritables mines d’éléments réemployables: fenêtres, structures porteuses, revê-
tements de façade...
Cirkla regroupe les acteurs de la scène du réemploi en Suisse autour de ce constat
et des valeurs suivantes:
1. Il nous faut drastiquement réduire les émissions de CO2, limiter l’extraction des ressources et diminuer notre production de déchets liés aux projets de construction.
Position détaillée
En Suisse, l'industrie de la construction consomme chaque année 70 millions de tonnes de matériaux[3]. Au niveau mondial, ce secteur est responsable de 37% des émissions de gaz à effet de serre, les émissions d'énergie provenant de la construction - principalement de la production de matériaux de construction pour les bâtiments - représentant 10% de ce total[4].
 
Le réemploi est l’un des outils les plus efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, préserver les ressources et limiter les déchets produits par le secteur de la construction.
 
Le réemploi a plusieurs vertus environnementales :
  • Il permet de conserver l’énergie grise nécessaire à la fabrication, au transport et à la mise en œuvre des éléments de construction existants.
  • Il permet de limiter la production de gaz à effet de serre engendrée par la création de nouveaux matériaux
  • Il permet enfin de limiter l’extraction des ressources précieuses (et parfois rares) nécessaires à la fabrication de ces nouveaux matériaux.
2. Recycler nos déchets ne suffira pas. Dans une économie circulaire nous devons mettre en œuvre des stratégies pour réemployer les matériaux et éléments de construction avant leur mise en décharge.
Position détaillée
En Suisse, sur un chantier de déconstruction, sauf demande particulière du maître d'ouvrage, les matériaux sont uniquement séparés de manière destructive, triés, généralement sur place, et recyclés conformément à "l'ordonnance sur la limitation et l'élimination des déchets" (Conseil fédéral 2020).
 
Cela doit changer.
 
Le réemploi suit les principes de l’économie circulaire qui se définit comme un concept économique cyclique, voulant se passer de la notion de déchet.
 
Dans le domaine spécifique de la construction, les différentes manières de limiter et de traiter les déchets se hiérarchisent selon la logique du cycle court. Elles interviennent dans des phases de décisions distinctes du processus de construction et sont ici listées dans un ordre préférentiel :
 
  • Renoncer à une intervention ou la réduire.
  • Préférer la réparation des éléments de construction à leur remplacement.
  • Préférer l’assainissement ou la transformation des bâtiments existants à leur démolition et leur remplacement par un bâtiment neuf.
  • Préférer le réemploi des éléments de construction à leur recyclage.
  • Préférer le recyclage à l’enfouissement.
 
Pour diminuer la quantité de déchets issus de la construction et la démolition, nous devons nous assurer que chaque composant non-renouvelable du bâtiment garde ses qualités intrinsèques le plus longtemps possible, de manière à permettre une gamme d’affectations potentielles la plus large possible.
 
Le réemploi est assurément le processus le moins gourmand en énergie pour transformer un produit. Tout recyclage de matière ou d’éléments de construction est extrêmement coûteux, et ce coût, invisibilisé par les gros producteurs, est rarement comptabilisé. Les produits se recyclent, mais combien de fois, et à quel prix ?!
3. Nous ne pouvons pas ignorer ce qui est déjà là. À travers le réemploi nous valorisons le bâti existant, et tant que tout et parties, en tant qu'ensemble ou pièces détachées.
Position détaillée
Afin d'avoir un impact sur l'avenir, il faut regarder ce qu’il y a ici, maintenant. Valoriser ce qui est déjà reconnaitre la valeur de notre patrimoine bâti et l'histoire de nos villes et paysages.
 
Nous devons considérer le parc immobilier existant comme une base de départ inaliénable. Nous devrions nous interdire toute démolition sans considération préalable de la valeur du bâti comme ensemble d’éléments réutilisable. C’est un changement de paradigme sur notre relation au bâti, qui devient la banque de matériel disponible maintenant et au cours de la prochaine décennie. Il nous faut trouver des solutions, ancrées dans la réalité de la gestion de bâtiments et de matériaux aux caractéristiques inconnues, sans données détaillées. La solution ne résidera pas uniquement dans des systèmes numériques complexes encore en développement mais aussi et surtout dans des principes simples et concrets, applicables immédiatement et à la portée de tous.
 
Ce travail est urgent, car les démolitions et les nouvelles constructions rejettent d’importantes quantités de gaz à effet de serre, au moment même où les scientifiques nous demandent de rapidement décarboner nos sociétés.
 
Depuis plusieurs décennies, l'accent est mis sur l'efficacité énergétique, mais dans les faits, les économies réalisées sur l’énergie de fonctionnement sont rapidement dépassées par les grandes dépenses en énergie grise qu’entraînent une démolition/reconstruction. La prise en compte de l’énergie grise dans le bilan énergétique d’un projet doit être rapidement généralisée afin que nous prenions collectivement conscience de son importance et des leviers nous permettant de la réduire.
 
Le réemploi est un outil important pour y parvenir.
4. Nous veillons à construire en conscience du réemploi futur.
Position détaillée
Toute production est-elle un déchet en devenir ?
 
La seule source d'énergie en dehors de la Terre est le soleil. L'arbre est bien sûr le seul être vivant qui produit, pour ainsi dire, un "supplément d'être" à partir du soleil. Toutes les espèces vivantes, tant qu'elles restent en équilibre avec le soleil, ne produisent que des déchets qui retournent dans le cycle de la nature. L'espèce humaine est la seule espèce sur Terre à produire des déchets qui ne peuvent pas retourner à l'état de nature. On peut se demander si toute production n'est pas un excès, un déchet potentiel.
 
Le concept d'économie circulaire propose d’éliminer la notion de déchet : tout repart dans le cycle, pour l'infini.
 
Pour le secteur de la construction, cela signifie planifier à l'avance. Qu'il s'agisse de réemployer des éléments de construction ou d'en produire de nouveaux, c'est construire de telle sorte qu’un bâtiment pourrait être facilement désassemblé, mais aussi de concevoir des bâtiments flexibles qui ont une durée de vie plus longue, de partager les informations sur les éléments mis en œuvre (de quoi sont-ils faits, quelles sont leurs caractéristiques), et de stocker et gérer ces informations pour faciliter le réemploi dans le futur de ces matériaux et éléments de construction. Cela signifie aussi qu'il faut prévoir ce qu’il adviendra de ces matériaux lorsqu'ils ne rempliront plus leur fonction initiale.
Cela est-il possible ? Nous en sommes convaincus, et nous semons aujourd'hui les graines de cet avenir.
5. Nous valorisons les métiers de la construction, les savoir-faire artisanaux et le travail local.
Position détaillée
Travailler avec du réemploi c’est valoriser le savoir-faire et l’inventivité des artisans : les métiers de la construction sont de plus en plus prisonniers de l’industrialisation massive des éléments constructifs, ce qui appauvrit la connaissance de ces métiers. Le réemploi d’éléments construits provoque un retour de connaissances et de réflexions sur des solutions d’assemblages, de montage, et de mise en œuvre.
 
Une des conséquences de l’industrialisation systématique des éléments de construction est l’uniformisation du paysage bâti. Le réemploi provoque l’impulsion d’une inventivité dans la construction, de la projection à la réalisation, dans chacune des étapes du processus.
 
Le réemploi déplace la quantité d’énergie nécessaire à la production d’un élément en série dans une usine, pour la mettre dans les mains et les têtes des artisans.
 
Le réemploi est pourvoyeur d’emplois, d’emplois locaux, et d’emplois valorisants.
6. Nous reconnaissons l’importance d’une pluralité d’acteurs et de stratégies, qu’il s’agisse de processus industriels, de valorisations historiques, ou de potentiels artistiques.
Position détaillée
Les motivations qui nous poussent à faire usage du réemploi sont multiples et produisent ainsi une grande variété de réponses à la volonté d’inscrire le monde de la construction dans l’économie circulaire. Le réemploi dans l’architecture est producteur de sens à plusieurs niveaux : social, constructif, historique. Certain.e.s, proposent une vision économique du réemploi, quand d’autres y voient une dimension patrimoniale, artistique ou même philosophique.
 
Les artistes, qui dessinent une vision, un temple de l'écologie, une typologie d'éléments surprenants. Il.elle.s prennent le temps de chercher les pièces pour élaborer leur vision, de trouver les artisan.e.s qui lui donneront vie.
 
Les architectes, qui planifient l’intégration des éléments réemployés dans un projet, qui pensent qu’il est préférable de rénover au lieu de démolir. Il.elle.s doivent convaincre leurs confrère.soeur.s, leurs client.e.s et trouver comment mettre en pratique cette vision.
 
Les maîtrises d’ouvrage qui travaillent sur de grands projets, des portefeuilles de bureaux et de bâtiments d’habitation, qui adoptent une perspective nouvelle sur leur parc immobilier, voyant chaque démolition comme une mine de matériaux et nouveau projet comme l’opportunité de les réemployer.
 
Les politiques, prêt.e.s à tester le réemploi dans des projets publics, qui cherchent des informations, veulent savoir comment faire, demande à être accompagné.e.s.
 
Les entrepreneur.euse.s et artisan.e.s, qui changent leurs manières de travailler sur leurs chantiers. Il.elle.s revisitent leurs manières de faire pour mettre en œuvre des matériaux réemployés et innovent pour qu’il soit possible, dans un futur plus lointain de les réemployer à nouveau.
 
Les collecteur.trice.s et revendeur.euse.s de matériaux et d'éléments de construction, qui pour certain.e.s le font depuis longtemps, qui savent démonter les éléments, analyser ce qui peut être vendu, valoriser ce qui pour d’autres serait un déchet.
 
Celles et ceux qui travaillent à la préservation de notre histoire et notre patrimoine culturel à travers la préservation du bâti classé, sa protection, sa restauration. Il.elle.s participent également à la démarche, car garder en usage un bâtiment le plus longtemps possible est la première étape.
 
C'est cette diversité d'approches qui donne au recyclage l'élan et la visibilité qu'il a aujourd'hui.
 
Cirkla souhaite représenter tous ces acteur.trice.s.
7. Nous devons modifier le processus architectural et constrictif pour permettre d’intégrer le réemploi dans la pensée et les pratiques de nos métiers.
Position détaillée
Intégrer la réutilisation dans le processus de construction ...
... c'est (se) laisser de la place pour des décisions qui devront être prises plus tard .. ;
... est de laisser des poches ouvertes pendant la longue durée du chantier ;
... est de prolonger le dessin dans la matérialité du projet ;
... est d'accepter que tout ne soit pas fixé dès le départ ;
... c'est une façon de garder vivante l'idée du projet pendant toute la durée de la construction ;
 
C’est aussi un exercice d’humilité !
 
Ce balancement du caractère démiurgique de l'architecture permet aussi d'horizontaliser les hiérarchies "habituelles" d'un chantier, de manière à faire réellement place à un collectif. Cette pratique oblige l'architecte à se remettre en question, à sortir du refuge du dessin et de la planification pour entrer dans une action commune à tous. Il/elle doit redéfinir le champ de son action et de ses compétences.
 
On doit aussi énoncer la question du temps : le réemploi demande de prendre son temps, un temps de collecte, un temps de pensée créative, un temps d’assemblage. Trois fois plus de temps pour trois fois plus de conscience de l’habiter.
 
La réutilisation nous fait également prendre conscience que nous traversons des générations. Par la présence "anachronique" d'un élément rapporté et réutilisé, nous prenons conscience qu'il y a eu un avant nous et qu'il y aura donc aussi un après nous.
 
Il s'agit également d'adapter les processus, les règles et les normes existants afin de faciliter leur mise en œuvre pour qu'elle se normalise. Nous devons mettre en place dans toutes les villes et dans tout le pays des inventaires systématiques des matériaux et éléments de construction qui composent le patrimoine bâti existant, afin que l'acquisition de matériaux réutilisables reste une chasse au trésor, mais ne soit plus une quête incertaine et sans fin.
 
Le réemploi ne doit plus être réservé aux non conventionnels et aux courageux (bien qu'ils montrent la voie). Il transforme l’objectif zéro-carbone en un processus créatif et de cohésion sociale par la construction de lieux habités par l’humanité dans une conscience et une empreinte forte du respect de la Terre sur laquelle nous vivons.
Le but de Cirkla est de rendre le réemploi visible, de partager nos expériences, transmettre nos connaissances, et d’engager le changement culturel, technique et législatif nécessaires à son essor.
Nous appelons tous les acteur.trice.s du secteur de la construction à nous rejoindre pour porter ces valeurs et mettre en œuvre ce manifeste.
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Vous avez des commentaires ou des réactions sur notre manifeste ? Nous réviserons et mettrons à jour ce document régulièrement, conformément à notre stratégie.
[1] OFEV : https://www.bafu.admin.ch/bafu/de/home/themen/abfall/inkuerze.html
[2] Gauch M., Matasci C., Hincapié I., Hör- ler R., Böni H. / 2016 Ressources matérielles et énergétiques et impact environnemental des infrastructures de construction en Suisse. EMPA, OFEV, Berne.
[3] Ibid
[4] Programme des Nations unies pour l'environnement (2021). 2021 Global Status Report for Buildings and Construction : Towards a Zero Emission, Efficient and Resilient Buildings and Construction Sector. Nairobi.